Bienvenue dans ce nouvel épisode de notre podcast « Dans l’oreillette », un format exclusivement dédié à la Gestion Privée et Gestion de Fortune. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à une thématique très actuelle dans l’univers du private equity : le co-investissement, et en particulier en période d’incertitude. Pour mieux comprendre comment cela fonctionne, quels en sont les avantages et les points de vigilance, nous avons le plaisir d’accueillir Sophie Lam-Detrait, responsable de l’Offre Non Coté chez Cyrus Herez.
Animateur : On parle de co-investissement en private equity, peux-tu nous dire ce que cela signifie ?
Sophie Lam-Detrait : Un fonds de private equity a repéré une belle société qu’il a envie d’accompagner, souvent en majoritaire. Il va organiser son montage LBO (leverage buy-out), il apporte de la dette bancaire, il prend une participation, et il manque quelques millions pour boucler le montage.
Il propose à ses investisseurs qu’il connaît de longue date, qu’il apprécie et qu’il affectionne, d’investir directement dans cette transaction sans frais de gestion, ni carried interest, et dans les mêmes conditions.
Cela veut-il dire qu’il faut avoir un accès privilégié pour co-investir ?
S.L-D. : Quand je dis « qu’il affectionne », ce n’est pas exagéré. Le fonds actif cherche des investisseurs fiables, qui ont les ressources internes pour réagir rapidement à une proposition de co-investissement. Cela lui permet de boucler ses deals. En contrepartie, il fait profiter les co-investisseurs de cette opportunité d’investissement. L’institutionnel privilégié profite du travail réalisé par ce fonds actif pour monter à bord de l’opération. Les Family Offices y ont aussi recours, puisque plus de 44% d’entre eux co-investissent.
Nos clients peuvent-ils aussi monter à bord ?
S.L-D. : Oui ! Mais pour nos clients, nous avons recours à un gérant de co-investissement qui effectue ses diligences indépendamment, en plus de celles du fonds actif. Nos clients montent à bord à travers un fonds de co-investissement, afin de répartir le risque sur plusieurs sociétés.
Ces fonds de co-investissement ont tissé des relations de confiance avec les fonds actifs, et ils reçoivent des opportunités d’investissement régulièrement. Ils en reçoivent même davantage, parce que la dette étant plus chère, les montages de LBO requièrent plus de fonds propres. En parallèle, les institutionnels qui ont atteint leurs quotas de private equity déclinent ces propositions.
Si les institutionnels y vont moins, pourquoi nos clients devraient y aller ? Quel est l'intérêt pour nos clients de faire du co-investissement ?
S.L-D. : Tu as compris qu’on investit aux côtés des fonds actifs, et qu’on profite de la même performance que le fonds générera lorsqu’il cédera sa participation.
Le fonds actif a déjà examiné l’entreprise cible, il a négocié les conditions de la transaction, et il est en train de conclure l’investissement. Mais il a besoin d’un chèque plus important. En tant que co-investisseur, on comble le déficit de financement, et en contrepartie, on a quoi ?
- On accède à des volumes d’opportunités — ce qu’on appelle plus communément le deal flow — tout en étant extrêmement sélectif.
- On accélère le déploiement, sans toutefois sacrifier la qualité des actifs. Parce que les fonds vous font monter à bord sans que vous ayez fait le travail de recherche en amont. On gagne donc un temps considérable dès la phase de déploiement, ce qui fait qu’on reçoit des distributions plus rapidement.
Aujourd’hui plus que jamais, les investisseurs se concentrent sur les distributions. DPI is king, comme le disent les Anglo-Saxons. Le TRI (taux de rendement interne), c’est bien pour évaluer la rentabilité d’un investissement sur le long terme. Mais le DPI (Distributed to Paid-In), est souvent préféré, car il donne des retours réels.
Dans l’environnement actuel, avec beaucoup d’incertitudes, est-ce une stratégie adaptée ?
S.L-D. : En effet, dans un environnement incertain il faut redoubler de prudence.
Co-investir permet d’être tactique : on choisit les expertises, les marchés géographiques, les segments qui vont tirer parti de ce changement. Le fonds de co-investissement double les premières diligences par les siennes, à partir de ses convictions. Le co-investissement permet ainsi une diversification plus harmonieuse.
Et puis les incertitudes peuvent aussi paralyser les deals, réduire le deal flow ; co-investir permet de tirer parti des deal flow de chaque gérant spécialisé, et de continuer à avoir du choix dans la sélection.
Historiquement, on a vu qu’un niveau d’incertitude plus élevé (Covid, inflation, resserrement monétaire…) pousse les fonds de LBO à se concentrer sur des secteurs moins exposés et de nature plus résiliente (exemples : courtage d’assurance, services B2B récurrents comme la comptabilité).
Cette situation pourrait ouvrir des fenêtres d’opportunités pour certains fonds LBO agiles. Je dirais qu’historiquement, ces périodes d’incertitude ont généré plutôt des opportunités.
Quels sont les points d'attention quand tu sélectionnes les fonds de co-investissement ?
S. L-D. : Il y en a quatre qui sont essentiels à mon sens.
- Le risque de sélection adverse : c’est le risque que le gérant actif propose des offres moins intéressantes aux co-investisseurs, préférant se réserver les meilleures opportunités. Il est donc primordial de travailler avec des fonds qui s’engagent à fournir des documents de due diligence complets. On atténue ce risque en travaillant avec des fonds réputés, motivés pour proposer des transactions de qualité aux co-investisseurs, afin de favoriser les relations sur le long terme.
- L’alignement d’intérêt : on apprécie les équipes de co-investissement qui investissent une partie de leur patrimoine personnel dans leur propre fonds — cela les pousse à rechercher de la performance.
- La structuration : on a vu que le co-investissement nous fait gagner du temps sur le déploiement et donc accélère le retour du cash. Il faut aller au bout de cette logique et préférer un fonds structuré sur un horizon d’investissement plus court. Sur le marché, certains fonds ont des horizons d’investissement de 6 ans au lieu de 10 ans classiques.
- Le rythme de la collecte : il doit être en phase avec le deal flow de l’équipe d’investissement. Si la collecte est trop importante et le deal flow insuffisant, on est tenté de remplir à tout va. Or, on veut maintenir une bonne sélectivité, il faut donc aussi maîtriser la collecte.
Sophie Lam-Detrait
Responsable de l'Offre Non Coté chez Cyrus Herez
sophie.lam-detrait@cyrus-herez.fr