Bienvenue sur ce nouvel épisode de notre podcast « Dans l’oreillette », un format exclusivement dédié à la Gestion Privée et Gestion de Fortune. Aujourd’hui nous retrouvons Pierre-Antoine Bretelle, Gérant de Fortune Associé chez Cyrus Herez, pour faire le point sur la préparation à la cession de son entreprise.
Animateur : Première étape et non des moindres, comment savoir si ma société est prête à être cédée ?
Pierre-Antoine Bretelle : C’est une excellente question car pour savoir si ma société est prête à être vendue, je dois me mettre dans la peau de l’acheteur et savoir si l’entreprise est réellement attractive en tant que repreneur. Pour évaluer cela, on peut se poser les questions suivantes :
- L’entreprise est-elle rentable et pérenne ? Des résultats stables et prévisibles seront un point fort.
- Suis-je dépendant d’un client, d’un fournisseur, d’une réglementation ?
- Quel est le potentiel de création de valeur pour la suite ?
- Mon organisation est-elle bien structurée ? Une entreprise qui repose uniquement sur son dirigeant sera difficile à vendre.
- La finance et le juridique sont-ils en ordre ?
Mais au-delà de ces critères techniques, la question essentielle à se poser en tant que dirigeant est : pourquoi est-ce que je veux céder ?
Et donc selon vous quelles sont les principales motivations d’un dirigeant pour céder son entreprise ?
P-A.B. : Difficile d’être exhaustif sur ce point, les motivations peuvent être très diverses mais les cas les plus fréquents que nous rencontrons sont :
- Le départ à la retraite : probablement la raison la plus répandue mais celle qui aura aussi le plus de conséquences sur l’entreprise, le patrimoine et la famille du dirigeant.
- L’envie d’entreprendre un nouveau projet : nous voyons de plus en plus de serial entrepreneurs qui n’hésitent pas à changer de projet une fois leurs objectifs atteints. Ou simplement de s’engager différemment dans le monde associatif par exemple.
- Il y a aussi ceux qui ont conscience d’avoir atteint une taille critique : des entrepreneurs à succès qui ont fait progresser leur société de TPE à PME et comprennent qu’il faut d’autres compétences pour la faire devenir une ETI.
- Certains ont simplement envie de récupérer du cash : ils sont dans un moment de vie où ils souhaitent se sécuriser financièrement et profiter de valeurs attractives sur un secteur.
- Enfin, il y a les vendeurs contraints : pour des raisons financières, de santé ou familiales. C’est évidemment le cas le plus difficile puisque l’anticipation est rarement possible.
Quelles seront les solutions à mettre en place en fonction des objectifs ?
P-A.B. : Une cession totale pourra être envisagée dans le cas d’un départ en retraite ou d’un nouveau projet par exemple. A l’inverse, une cession partielle sera à étudier dans le cas d’un cash out ou d’un accompagnement sur le développement de l’entreprise.
La cession partielle à un fonds d’investissement peut par exemple permettre de sécuriser une partie de son patrimoine tout en bénéficiant de moyens supplémentaires pour consolider le marché et investir plus massivement. Un fonds accompagne financièrement et intellectuellement un dirigeant, mais ne s’impliquera pas dans la gestion opérationnelle de l’entreprise. Il aura besoin de s’appuyer sur une équipe solide et motivée. Les intérêts pourront être alignés notamment par la mise en place d’un « management package » permettant à l’équipe de direction de capter une partie de la plus-value réalisée par l’investisseur financier.
A contrario, une cession à un acquéreur stratégique permettra peut-être de bénéficier de synergies intéressantes (nouveaux canaux de distribution, international, fonctions supports, etc.). Il pourra aussi permettre un désengagement plus important du dirigeant. Une vigilance toutefois si l’acquéreur stratégique ne reprend pas immédiatement 100% du capital. Il faudra négocier un pacte d’associés clair et précis sur les conditions de gouvernance et de liquidité pour ne pas rester ad vitam æternam bloqué en tant qu’actionnaire minoritaire sans droit.
Une fois cette réflexion posée, quelles sont les étapes clés pour bien préparer une cession ?
P-A.B. : Une fois que le dirigeant a clarifié ses motivations et vérifié la solidité de son entreprise, il peut entrer dans la phase de préparation concrète. La clé, c’est l’anticipation. Une cession bien préparée maximise la valorisation et réduit les risques. Il doit choisir son équipe de conseils, banque d’affaires, avocat, expert-comptable, qui vont lui permettre d’optimiser la rentabilité, structurer l’organisation et réaliser les audits préalables. On appelle cela « habiller la mariée dans notre jargon ».
En parallèle il doit choisir le conseil qui sera le lien entre la cession et sa vie d’après : son conseiller en gestion de patrimoine !
Le rôle du conseil en gestion de patrimoine sera bien évidemment d’accompagner son client dans la gestion du capital issu de la cession. De construire avec lui une stratégie d’investissement sur mesure pour déployer des investissements financiers, immobiliers et non cotés.
Mais son rôle sera tout aussi important en amont de la cession pour s’assurer que la structuration juridique et fiscale corresponde à ses objectifs de vie pour le futur. Par exemple, est-ce que le dirigeant souhaite transmettre une partie de son patrimoine à son conjoint ou ses enfants ? Est-ce qu’il souhaite recréer ou réinvestir dans une activité professionnelle. A-t-il besoin de financer un nouveau bien immobilier, a-t-il besoin de revenus…
Le rôle du conseil en gestion de patrimoine sera de s’assurer que son client ait compris :
- Les enjeux économiques : combien aura-t-il ; qu’est-ce que cela lui permettra de s’acheter, quels revenus peut-il espérer ? Qui détient quoi au niveau de la famille ?
- Les enjeux fiscaux : le prix de cession net disponible peut-il être augmenté, en cas de donation, d’apport-cession, de recours à des régimes de faveur, avec quelles contraintes. Quel sera son environnement fiscal pour la suite, quelle stabilité des règles fiscales selon le schéma retenu.
- Les enjeux de la gouvernance : notamment en présence de holding patrimoniale dont le capital a fait l’objet d’une donation, qui décide, qui contrôle ? Aujourd’hui, demain en cas de décès d’un conjoint ? Ce critère sera particulièrement important en présence de familles recomposées ou de mésentente entre les enfants.
- Les enjeux psychologiques : souvent sous-estimés à tort et qui peuvent s’avérer être des freins pour la suite.
On parle souvent de l’aspect technique, mais rarement de cet aspect psychologique est-ce que vous pouvez détailler ce point ?
P-A.B. : C’est un point fondamental pour que la cession et l’après-cession se passent sereinement. Nous constatons régulièrement une période moralement difficile les mois suivants la cession.
Lors d’une cession partielle par exemple, la cohabitation, même avec un actionnaire minoritaire est parfois très compliquée. Il ne faut pas hésiter à bien définir les règles de fonctionnement de manière détaillée pour ne pas avoir de mauvaises surprises ensuite. En cas de cession totale, et particulièrement au moment du départ à la retraite, il y a une perte du statut social qui peut être très mal vécue. Il y a également le regard, parfois la jalousie, que peut porter la famille ou l’entourage lorsque l’on devient riche. Ou encore le poids de la responsabilité d’avoir laissé ses équipes avec un nouveau management qui aura peut-être une philosophie différente.
Quelques clés pour mieux vivre cette période :
- Accepter de lâcher prise : beaucoup de dirigeants ont du mal à se détacher émotionnellement. Il est essentiel d’y aller progressivement et d’accepter qu’il ne soit plus indispensable, que l’entreprise vive sans lui.
- Accompagner ses équipes : souvent incarnée par son dirigeant dans les premières années, il faudra assurer la montée en puissance d’une deuxième ligne de management solide et compétente, capable de prendre le relais en cas de départ du dirigeant. Assurer une communication claire et rassurante pour assurer la continuité et la motivation des équipes.
Se projeter dans sa vie d’après : pour éviter ce sentiment de vide une fois l’entreprise vendue, il est important d’avoir réfléchi à ses projets. Recréer une société, accompagner d’autres entrepreneurs, avoir un projet philanthropique, politique, voyager, chacun définira ce qui est important et lui permettra de se sentir utile après la cession.
Merci pour ces précieux conseils, une phrase de conclusion peut-être ?
P-A.B. : D’une manière générale, anticiper et préparer sa cession avec une équipe de conseil de confiance permettra de mieux négocier avec son acquéreur et de vivre ce changement de vie de manière plus sereine.

Pierre-Antoine BRETELLE
Gérant de Fortune Associé chez Cyrus Herez
pierreantoine.bretelle@cyrus-herez.fr