
Jérôme POGGI
Fondateur et Directeur de la Galerie Poggi
Jérôme Poggi est le fondateur et directeur de la Galerie Poggi créée en 2009 et installée depuis 2014 face au Centre Georges Pompidou, dans le Marais. Il représente aujourd’hui environ 25 artistes internationaux, à travers des expositions prestigieuses et des foires majeures.
Historien et critique d’art, diplômé de l’EHESS et de l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, Jérôme Poggi est également fondateur de l’association à but non lucratif SOCIETIES, agréée par la Fondation de France à travers laquelle il promeut des formes alternatives au marché de l’art, notamment via le programme des « Nouveaux Commanditaires », qui invite des citoyens à porter des projets artistiques.
En quoi le geste de l’artiste et celui de l’entrepreneur vous semblent-ils comparables ?
Ce qui rapproche d’abord l’artiste et l’entrepreneur à mes yeux, c’est leur humanité. Tous deux croient profondément que l’initiative individuelle peut encore transformer un monde saturé de structures établies — sociales, économiques, politiques ou intellectuelles. Ils partagent une sensibilité aiguë à leur époque, ce sixième sens qui leur permet de capter les mouvements souterrains du monde. Ce sont des créateurs, animés par la vision, le savoir-faire et l’imagination. Mais surtout, ils font preuve de la même audace : ce courage d’affronter l’inconnu, d’oser devant la page blanche et de croire en ce qu’ils pressentent en leur « for intérieur », avant même que cela n’existe.
Vous avez fondé une galerie, dirigé une structure associative, accompagné des artistes : qu’avez-vous appris, vous-même, du rôle d’entrepreneur ?
Créer et développer une entreprise est un cheminement quasi initiatique, qui relève de la connaissance et l’accomplissement de soi. Cela nous révèle à nous-mêmes, nous apprend où réside notre « pouvoir intime », et non celui que confère très approximativement un diplôme, une fonction ou un statut. Trop souvent, nous nous enfermons dans des rôles sans en dessiner nous-mêmes le costume. Ces seize premières années d’entrepreneuriat m’ont appris l’humilité, puis la confiance en soi, la conviction et l’endurance, le sens du partage, et le dépassement de soi dans l’accomplissement d’un projet d’intérêt commun.
Que dit une collection d’art d’un entrepreneur ou d’une famille ?
Une collection est le reflet de soi, un portrait pointilliste qui se dessine au fur et à mesure de sa constitution. Plus les œuvres sont exigeantes, radicales, moins elles flattent une identité superficielle — et plus elles révèlent des couches profondes de notre être. Mais au-delà de cette dimension quasi existentielle, collectionner, c’est aussi participer activement à une économie symbolique, proprement spéculative dans tous les sens du terme, philosophique et économique. Vincent Van Gogh écrivait que plus on achète des œuvres d’art, plus on fait soi-même œuvre d’art. Non pas que l’on devienne artiste, mais on devient un acteur de l’art lui-même, en le faisant vivre au sein de la société. La collection devient alors reflet de soi mais aussi de son temps, et peut ainsi acquérir une valeur collective jusqu’à finir dans un musée.
Voyez-vous émerger de nouvelles formes d’engagement de la part des entrepreneurs dans le monde de l’art ?
Je crois, comme Saint-Simon l’écrivait en 1824, à l’alliance féconde entre l’artiste, le savant et l’industriel. L’entrepreneur, « force vive du corps social », ne peut ignorer la puissance transformatrice de l’art. À l’heure où nous vivons une bascule comparable à la Renaissance, l’art est un outil de navigation incontournable. Il est absolument essentiel pour un entrepreneur aujourd’hui de s’interroger sur les œuvres les plus contemporaines, et d’échanger avec les artistes et ceux qui les accompagnent que ce soit des critiques d’art ou des galeries
Comment un chef d’entreprise ou un investisseur peut-il soutenir la création artistique autrement que par l’achat ?
L’achat d’œuvres reste un acte essentiel, mais il n’est qu’un point d’entrée. Soutenir la création, c’est aussi s’impliquer dans l’écosystème artistique dans son ensemble. Collaborer avec des musées, des centres d’art, des collections publiques, des critiques, des chercheurs, c’est contribuer à faire vivre un tissu culturel qui irrigue toute la société. Certains entrepreneurs s’engagent aujourd’hui avec curiosité et discernement, non pour posséder, mais pour comprendre, dialoguer, et faire émerger des idées nouvelles. C’est une forme d’investissement à la fois immatériel et profondément stratégique, qui nourrit la pensée, enrichit la vision, et donne du sens à l’action économique.


