
Lydia RETTIG
Ingénieur Patrimonial
Sommaire
Le mécanisme d’apport-cession prévu à l’article 150-0 B ter du Code général des impôts constitue l’un des leviers fiscaux les plus puissants à la disposition des dirigeants souhaitant optimiser fiscalement la cession de leur entreprise. En reportant l’imposition de la plus-value, ce dispositif peut permettre d’éviter temporairement ou définitivement une fiscalité de 34 % du gain réalisé, sous certaines conditions.
L’apport-cession : un mécanisme en deux temps
Plébiscitée par les dirigeants cédants, la technique d’apport-cession repose sur deux opérations successives.
L’apport d’une quote-part de titres à une holding
Avant la cession, les titres de la société sont transférés à une holding contrôlée par le dirigeant (en général créée pour l’occasion). Cette opération matérialise une plus-value d’apport, dont l’imposition est automatiquement reportée.
La cession des titres par la holding
- Si la holding cède les titres reçus en contrepartie de l’apport dans les 3 ans : soit le report tombe et la personne qui a apporté doit payer l’impôt jusqu’alors en report, soit le report est maintenu si la holding remploie au moins 60 % du produit de cession dans des activités éligibles, dans un délai de 24 mois ;
- Si la holding a conservé les titres plus de trois ans avant de les céder, la cession est sans conséquence sur le report d’imposition : celui-ci est maintenu.
Une obligation de réinvestissement contraignante
Le remploi de 60% du prix de vente dans les 24 mois de la cession est une contrainte importante. Cet investissement ne peut ni être de la gestion de portefeuille, ni de l’immobilier locatif, ni un placement passif… Il doit s’agir d’un investissement éligible : acquisition (sous conditions) ou création / développement :
- d’activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou libérales,
- ou prise de participations dans des sociétés opérationnelles,
- ou encore souscription à certains fonds spécialisés tels que FCPR, FPCI, SCR ou SLP.
Cette exigence impose une prise de décision rapide et stratégique. Là où un investisseur classique prendrait le temps de mûrir ses choix, le dirigeant est confronté à :
- une pression forte pour trouver des opportunités éligibles et diversifiées (le cas échéant),
- une évaluation des projets et des gestionnaires, et une allocation pertinente de ses 60%,
- des contraintes de liquidité, parfois significatives.
Un levier patrimonial majeur
Sur une plus-value de 10 millions d’euros, le report d’imposition permet de préserver jusqu’à 3,4 millions d’euros de trésorerie.
Prenons l’hypothèse d’un investissement du produit de cession qui rapporte 5%, le montant investi doublerait au bout de 15 ans. Si on a subi une imposition de 34% sur la plus-value, il faut 23 ans pour atteindre la même valeur d’investissement.
Au-delà de l’économie fiscale immédiate, le dispositif présente des atouts stratégiques notables :
- Disponibilité de 100% du capital de cession pour la holding, lui permettant d’envisager des projets d’investissement plus ambitieux ;
- Création d’un véhicule d’investissement à l’IS avec une partie placée en private equity ;
- Opportunité de transmission : la plus-value peut être purgée en cas de donation (sous conditions) ou au décès de l’apporteur.
Les tensions générées par le dispositif
En contrepartie de ces avantages, ce mécanisme engendre plusieurs sources de stress pour le dirigeant.
Stress temporel
Le délai de 24 mois impose une pression constante sur les décisions d’investissement, surtout si on souhaite faire plusieurs investissements pour diversifier.
Stress réglementaire
Les obligations déclaratives sont complexes et l’administration fiscale opère une surveillance accrue de ces holdings de report.
Stress de performance
La contrainte de remploi de 60 % peut induire des décisions précipitées et des investissements non optimaux.
L’article 150-0 B ter offre ainsi une opportunité fiscale significative, mais au prix de contraintes fortes et d’un niveau d’exigence élevé. Le succès de l’opération repose sur une démarche sur mesure, alliant vision stratégique, sécurisation juridique, diversification des investissements et accompagnement professionnel.
Au-delà des considérations fiscales, l’enjeu véritable réside dans l’harmonisation de la stratégie patrimoniale avec les aspirations profondes du dirigeant, afin de lui offrir la sérénité nécessaire à un moment clé de son parcours entrepreneurial.
Cette dimension personnelle, trop souvent reléguée au second plan, s’impose pourtant comme un levier décisionnel majeur dans toute approche patrimoniale de haut niveau.
Nos convictions
Pour profiter du dispositif en atténuant ses tensions, plusieurs approches se révèlent efficaces :
- Calibrer son apport: Déterminer la part de titres apportés en report et celle à conserver en direct pour les projets personnels de la famille. L’idéal est de bénéficier du report sur la partie dont la famille est certaine de ne pas avoir besoin dans les années à venir. Les 60% de remploi doivent
représenter une quote part raisonnable de l’ensemble du patrimoine: entre 15% et 25%. - Anticipation stratégique : Préparer en amont une feuille de route cohérente avec les objectifs patrimoniaux et analyser, en toute lucidité, si les contraintes justifient le gain fiscal attendu.
- Diversification prudente : Investir dans plusieurs projets pour limiter les risques.
- Accompagnement professionnel : S’entourer d’experts spécialisés dans le dispositif pour sécuriser juridiquement et fiscalement les opérations tout en maximisant l’efficacité de l’investissement (attestations, déclarations fiscales, …).