
Sophie NOUY
Directrice du Pôle d’Expertise Patrimoniale – Cyrus Herez

Philippe FERNANDES
Ingénieur Patrimonial – Cyrus Herez
Sommaire
Le crédit bancaire n’est pas seulement un moyen de financement : il constitue un véritable outil patrimonial pour les entrepreneurs et les familles. Utilisé intelligemment, il permet de développer son patrimoine, mais il peut aussi fragiliser une stratégie si les paramètres économiques, fiscaux et successoraux ne sont pas maîtrisés.
Pourquoi le crédit bancaire est-il un outil patrimonial essentiel ?
Le crédit bancaire peut être utilisé dans des contextes très différents, notamment pour financer l’acquisition d’actifs professionnels ou personnels générant des revenus (immobilier, actions dans le cadre d’un LBO / OBO, etc.), ou des biens d’usage (résidence principale ou secondaire) ou encore le train de vie personnel.
Par ailleurs, il convient bien sûr de distinguer la dette souscrite en vue de financer une acquisition (par exemple, pour l’achat d’un actif immobilier) et celle qui s’adosse à des actifs liquides pour bénéficier d’un levier financier et investir plus. Dans ce cas, on utilise parfois le crédit dit «Lombard », consistant à donner en garantie à la banque un compte-titres, un contrat d’assurance-vie ou encore des liquidités, afin d’obtenir un crédit.
Hausse des taux : quel impact sur la gestion de patrimoine ?
La hausse des taux de crédit ces dernières années a été importante, après une longue période de taux historiquement bas. Par exemple, pour un prêt immobilier sur 25 ans, le taux est passé d’environ 1% en 2022 à environ 3,5% en 2025. Les prêts « Lombard », dont les taux sont souvent variables, sont également affectés par cette hausse importante.
Cette évolution des taux, sans remettre en cause l’intérêt du crédit, rend plus difficile les stratégies patrimoniales consistant à utiliser le levier financier. L’impact significatif sur les coûts de l’emprunt et en cascade sur les mensualités conduit certains particuliers à renoncer à des investissements immobiliers, notamment l’acquisition de leur résidence principale, car leur capacité d’emprunt n’est plus suffisante pour des biens dont les prix n’ont pas significativement baissé (les vendeurs préférant décaler leur cession plutôt que de baisser le prix). S’agissant de clients plus fortunés utilisant le crédit Lombard, il est essentiel de comparer le coût du crédit et la rentabilité de leurs investissements collatéraux.
Fiscalité et crédit bancaire : un paramètre déterminant
Déductibilité et rentabilité
Lorsque le prêt bancaire est utilisé pour l’acquisition d’un actif générant des revenus imposables, il convient donc d’évaluer la rentabilité de cet investissement, nette de charges et de fiscalité. L’imposition ne doit pas être sous-estimée, bien que difficile à évaluer, car son impact sur la rentabilité de l’investissement peut être élevée : jusqu’à 66,2% sur les revenus fonciers détenus en direct, auxquels il faut rajouter le coût de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) et la fiscalité qui viendra, à terme, éroder la plus-value. Pour des revenus financiers, le coût actuel est le PFU de 30% à 34%, mais il pourrait s’alourdir en cas de retour de l’ISF.
Par ailleurs, en cas d’investissement locatif ou pour tout type d’investissements via une structure à l’IS, le coût du crédit sera en pratique réduit car les intérêts d’emprunt devraient en principe être fiscalement déductibles. L’économie variera en fonction du taux d’imposition effectif sur l’investissement concerné, c’est-à-dire entre 17,2% et 66,2% pour une location par une personne physique et entre 15% et 25% pour une personne morale soumise à l’IS. A cela peut s’ajouter une économie d’IFI – appréciable mais temporaire – à condition que le crédit soit affecté au bien immobilier.
L’opportunité d’un crédit devra donc être analysée en tenant compte de l’ensemble de ces paramètres financiers.
Réduction d’IFI : un avantage limité
En cas d’acquisition de la résidence principale ou de la résidence secondaire, le coût de l’emprunt n’est pas compensé par des revenus générés par l’actif immobilier. L’un des objectifs est souvent de réduire la base imposable à l’IFI mais cette économie d’IFI (maximum 1,5%) sera toujours inférieure au coût de l’emprunt (environ 3,5%- 4,5% actuellement). Il convient d’ailleurs de noter que la structuration et les caractéristiques du prêt auront un impact sur sa déductibilité pour l’IFI compte tenu des limites existantes (par exemple, en cas de souscription d’un prêt bancaire in fine de 5 ans, une fraction de 20% deviendra non-déductible chaque année). Ces règles devront être analysées avec attention et la pertinence dépendra de l’espérance de gain sur le placement fait avec les liquidités non investies du fait du crédit.
S’endetter est-il opportun pour acquérir un bien immobilier d’usage ou financer son train de vie ?
Lorsque l’on dispose de liquidités, la décision de s’endetter n’est donc patrimonialement avantageuse que si les fonds sont placés dans un investissement collatéral dont la rentabilité (nette de frais et d’impôts) est supérieure à 3%, en tenant idéalement compte des plus ou moins-values potentielles. L’économie d’IFI ne doit donc être qu’un avantage accessoire. Après avoir négocié les termes du prêt immobilier, notamment son taux, il sera encore plus important de prendre les bonnes décisions en termes d’investissements collatéraux, au risque sinon de s’appauvrir.
Quels sont les impacts des crédits bancaires en cas de décès ?
Les dettes liées à un actif imposable, par exemple, les prêts immobiliers, constituent en principe des passifs déductibles pour le calcul des droits de succession. Cependant, la banque exige généralement de l’emprunteur qu’il souscrive une assurance incapacité/décès. Le remboursement du prêt directement à la banque en cas de décès augmente l’assiette imposable et donc les droits de succession dus par les héritiers. Bien que l’assurance emprunteur demeure une protection et un avantage financier, le surcoût peut être significatif en fonction du taux marginal des droits de succession et doit donc être anticipé par la famille.
L’une des solutions peut consister à mettre en place une clause séquestre prévoyant que l’indemnité sera versée à un tiers (avocat ou notaire) plutôt qu’à la banque, de sorte que la dette continuera d’exister après la succession (dans ce cas, il faudra continuer de rembourser le prêt). Cependant, un tel mécanisme est rarement accepté par les banques. Par ailleurs, s’agissant d’un crédit Lombard, il est fréquent qu’il soit garanti par le nantissement d’un portefeuille-titres ou encore d’un contrat d’assurance-vie.
Dans ce dernier cas, le contrat est dénoué à titre onéreux au profit de la banque, ce qui peut générer en pratique des difficultés pour calculer l’assiette des droits ou encore allouer les sommes aux autres bénéficiaires. Ces aspects doivent donc être anticipés.
Nos convictions
- Le crédit est un outil efficace pour développer son patrimoine, notamment l’immobilier locatif, mais il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des paramètres financiers et fiscaux (coût de l’emprunt, rentabilité des investissements collatéraux, fiscalité sur les revenus, économie d’IFI, etc.)
- Il faut faire un point chaque année sur son crédit Lombard : Quel est l’écart de taux entre le crédit et le placement ? Quand et comment sera-t-il remboursé ? Quel est l’impact en cas de décès ?